L’histoire en quelques mots
Un pêcheur hawaïen se jette dans les déferlantes avec sa frêle embarcation. Son objectif :
se mesurer à Mano la bleue, une femme requin légendaire. Les plans de l’homme ne se
déroulent pas comme il l’avait prévu. La créature ouvrira son cœur au pêcheur, et ce qui
avait débuté comme une chasse implacable, se transformera peu à peu en une joute
d’une toute autre nature. Entre rêve et réalité, entre songes énamourés et cauchemars de
tempêtes, l’homme et la bête entreront en collision avec un monde qui n’admet pas les
amours hors norme.
Perdus corps et âme
L’île d’Hawaï offre un cadre fantasmagorique, propice à la rêverie et à l’extase, entre
exotisme dépaysant et déchaînement des éléments.
Le texte de Julie Nakache coule comme un flux ininterrompu qui découpe notre horizon et
nous accompagne tout au long de ce voyage poétique et hypnotique. Les mots de
l’autrice, qui conte l’histoire dans une magnifique version audio, nous bercent et nous
offrent un instant suspendu entre deux rives, entre deux eaux, entre deux mondes : celui
de la terre, ancrée dans ses certitudes cartésiennes, et celui de l’eau, baignée de
légendes et de magie.
Le pêcheur est d’abord celui qui chasse et qui prend à la nature ce qui n’appartient qu’à
elle. Par la suite, il se métamorphose en protecteur de la nature au contact de la bête
anthropomorphique. Les illustrations de Zoé Crevette enveloppent le texte de courbes,
d’arabesques et de teintes kaléidoscopiques. Nos sens sont chavirés comme
l’embarcation du pêcheur et enivrés comme ses sens.
Une troisième dimension s’ajoute à l’ensemble de cette composition extrasensorielle pour
nous rendre fanatiques de ce genre d’ouvrages : les notes de Troy Von Balthazar qui
nous offrent un décor sonore d’exception. Une extension indispensable qui prolonge la
rêverie bien au-delà de l’écoute et de la lecture.
Ces formes d’expression conjuguées participent à l’atmosphère du livre et à son
étrangeté. Vous aurez vraiment l’impression de ne pas avoir qu’un livre entre les mains,
mais tout un monde avec de multiples facettes.
Amor mots à maux
Cette aventure s’imprimera en vous, chères lectrices et chers lecteurs. Vous emprunterez
les pas du pêcheur. Vous vous immergerez avec lui dans les flots.
Julie Nakache, par sa voix feutrée, vous servira de guide. Vous aurez, j’en suis sûr, plaisir
à suivre son fil d’Ariane. Vous dégusterez ce livre comme l’on déguste une mangue à la
chair fraîche et au parfum délicat.
Je vous souhaite de plonger en vous-mêmes et de retrouver une part de votre humanité,
une part que nous laissons souvent de côté et que nous mésestimons. Notre véritable
nature. Pure, sensorielle, sans artifice et sans calcul.
Hawaii au goût de sel bascule nos sens vers un ailleurs hors du temps et nous offre un
message d’une universalité bienvenue dans un monde où nous ne prenons le temps de
rien.
Laissez vos yeux s’émerveiller, vos mains courir sur le papier, vos oreilles s’emplir de sons
et de voix. Laissez-vous dériver et changez de cap !
La figure mythique de la bête oscille comme entre fascination et répulsion, peur et désir.
La sensualité qui se dégage des illustrations de Zoé Crevette, la mélopée obsédante des
rythmes insulaires et leurs résonances dans nos cages thoraciques ébranlent tout notre
être et laissent un goût de transe et de transgression sur nos lèvres craquelées par le vent
salé.
Legend of the sea
Après Legend of the willow (Julie Nakache, Cécile Vallade, Kramies), dans lequel des
chasseurs poursuivaient une femme-louve amoureuse d’un chêne, Hawaii au goût de sel
nous parle encore de bête traquée, par des pêcheurs cette fois. Mais ici, l’amour est
encore plus charnel et sensuel. Il trouve son apogée dans les flots originels, là où la vie a
commencé. Les fluides se mélangent et tout se confond dans cet univers : le haut, le bas,
l’eau, la sueur, la beauté, l’horreur, l’espace, le temps.
Le côté sacrificiel effleure la surface de nos cœurs haletants. L’eau est aussi l’élément de
la purification. Or, les pêcheurs la souillent du sang de l’une de ses gardiennes.
La femme-louve gardait le sanctuaire de la forêt, la femme-requin garde celui des
abysses. Ces créatures interrogent la question de l’étrangeté comme La Bête chez
Perrault ou la créature de Frankenstein ou encore le monstre du Loch Ness.
Qui fait preuve de la plus grande bestialité en fin de compte ? Est-ce que mettre à mort
ces êtres n’est pas une façon déguisée pour ces hommes de racheter leurs propres
imperfections ?
L’être le plus abject est celui qui se targue d’être le plus évolué. L’Homme est la seule
créature à engendrer sa propre fin, à le savoir et à poursuivre cette voie de destruction
envers et contre tout.
Conclusion
Bien plus que de sentir le velouté d’un papier, d’expérimenter la beauté des couleurs ou
de se délecter de la symphonie des notes et des voix, Hawaii au goût de sel convoque les
éléments lors d’un rituel hors des frontières de ses pages. Il provoque nos sens et nous
permet de ressentir ce qui existe et ce qui est invisible à nos yeux. Nous touchons un objet
tangible et pourtant, nous ressortons de l’expérience avec le sentiment d’avoir touché du
doigt l’ineffable.
Peut-être qu’au lieu de tout conscientiser, de tout analyser et de tout vouloir comprendre,
nous devrions un peu plus ressentir les choses, nous laisser porter par la vague et
rediriger nos énergies vers le plus important : la vie.
Prenez le temps de nous reconnecter avec la vie.
C’est le meilleur moyen de prendre soin de vous et de votre chemin.
Aloha.
Hawaii au goût de sel, Julie Nakache, Zoé Crevette, Troy Von Balthazar, Eidola
Éditions, 2023