A Contre-Pied Éditions Vie de quartiers LES GRAINES DE LA MADELEINE.

LES GRAINES DE LA MADELEINE.

Il arrive, que passant par tel ou tel endroit, nous basculions dans un autre temps : maison baignant dans son jus, jardin gardé par un marronnier ou un tilleul, vigiles bruissant de voix éteintes, ou boutiques improbables, croisées dans un village oublié. Ainsi cette mercerie à la devanture délavée, ou cette boulangerie à la déco surannée ou encore une droguerie de ma connaissance parfumée aux mêmes essences que l’armoire de ma grand-mère.

Plus rare est de croiser en ville ce genre de petit miracle, ou alors ce sont des lieux « tendance », trouvant leur originalité et l’excuse de leurs tarifs dans leur appellation : « Comme Autrefois », « D’antan » ou le compassé « Temps Passé ».
Cependant, pour joindre Bordeaux depuis mon village, j’emprunte l’Avenue Thiers et ne manque jamais de cueillir du regard une graineterie tout droit sortie des années de mon enfance. Vous souvenez-vous, pour certains d’entre vous, le cours Victor-Hugo lorsque les plants de fleurs et de légumes encombraient les trottoirs ? Pour régler ses plants de tomates et de bégonias, il fallait oser entrer dans le sombre poussiéreux d’une boutique envahie de sacs de jute et de caisses de bois contenant graines et semences diverses. Hé bien ! Sur l’avenue Thiers, il en reste une !

Revenant de Bordeaux avec une amie dans notre célèbre tramway, j’appris d’elle que cette boutique que je pensais un peu fantôme était bien réelle puisque son grand-père y avait travaillé ! C’est donc accompagnée de cette petite fille de docker, immigré espagnol qui allait décharger des sacs à la graineterie pour améliorer l’ordinaire que j’entrais dans ce mirage !

Un monsieur arrosait les pots de fleurs sur le trottoir, jouxtant un tas de sarments. L’illusion ne fut parfaite qu’une fois à l’intérieur, car alors il y eut le parfum anisé des grains pour oiseaux exotiques, et ils furent là, les contenants en bois emplis de perles plates ou rondes avec en chacune d’elles l’espoir d’une vie végétale. Un petit couloir mène au bureau où j’allais parler avec les gardiens actuels de ce temple de la graine avec en face la pièce consacrée à l’autre spécialité de la maison : les coupes
sportives !

J’appris donc que l’origine des lieux fut un relais à chevaux qui devint station service puis un électricien s’y installa, en ces temps la bâtisse s’inscrivait plus dans le progrès que dans la nostalgie !

C’’est dans les années 1940 que fut fondée la maison « Crayssac ». Il s’y vendait un peu de tout pour subsister en ces années de disette ! Les semences les graines mais aussi les pommes de terre ! La famille Sicaird pris la suite. C’est à cette époque que José Pocéro (le monsieur qui arrosait à l’entrée) fut embauché dans la maison, il a connu ensuite les Darcos et aujourd’hui Mr et Mme De Abreu continuent l’histoire. Ils ont leurs clients fidèles du quartier mais aussi d’ailleurs car avec graines ou
nid à perruches, il vous sera alloué pour le même prix (compétitif) de précieux conseils avisés. Bien sûr, cette devanture bleue charrette avec sa porte arrondie attire aussi les gens comme moi, susceptibles de basculer dans l’irrationnel et voulant vérifier qu’ils ne sont pas tombés dans la quatrième dimension ! Il y a d’ailleurs en projet le tournage d’un film sur les lieux. Le dépôt du magasin est juste à côté, identique à ce qu’il a dû toujours être, avec ses machines mystérieuses à l’utilisation inconnue et, caché, certainement nous observant , le garde intemporel des graines, des farines et des lieux : le chat !

Non ! Je ne vous dis pas l’adresse exacte de la graineterie ! Trouvez-la ! Un peu comme le château de la fête étrange de Fournier. Vous y serez accueilli par José Pocéro et M et Mme De Abreu, cela fait penser à « arbre », vous ne trouvez-pas ?

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