Témoignage sur Maurice Zundel rédigé à la demande du Père Bernard de Boissière en vue de la biographie qu’il lui destinait.
New York, Octobre 1999.
“Tu étais dedans, c’est moi qui étais dehors”…Saint Augustin l’a magnifiquement
exprimé mais c’est grâce à Maurice Zundel que j’ai pu, à mon tour, faire l’expérience du Dieu Vivant d’Amour en soi.
C’est tout à fait par hasard que j’ai fait la rencontre de ce prêtre suisse remarquable.
Alors qu’un jour, je me trouvais dans une librairie religieuse à Paris et cherchais une
inspiration à ma foi alors hésitante et incertaine, je me suis dirigée vers une table où
étaient présentés les ouvrages d’un auteur dont je n’avais jamais entendu parler:
Maurice Zundel.
Comme cela se passe dans un coup de foudre, j’ai été irrésistiblement attirée par les
livres et par l’aura qui s’en dégageait. Sans rien connaître de l’auteur, ni de sa pensée, je suis pourtant repartie avec trois de ses livres: “L’Évangile Intérieur”, “A l’écoute du
silence”, et un petit livre rouge qui présentait “L’ami du silence”. Sans le savoir, je
rassemblais déjà l’essentiel de la pensée de cette immense âme. Intérieur.. parce que Dieu habite en nous, silence.. parce que c’est dans le dépouillement intérieur de soi-même que l’on y fait Sa rencontre.
Il s’est passé trois ans depuis ce jour, que je qualifie de “miraculeux”
puisqu’aujourd’hui je ne me sens plus la même. Je deviens cet Autre qui avait jadis, tant de mal à grandir en moi, cet Autre “je”, dont nous parle si merveilleusement Maurice Zundel en reprenant le mot poétique et prophétique de Rimbaud. “ La vocation de l’homme, explique t-il, est de partir à la rencontre de cet infini, par la désapprobation de soi, le don de soi et l’accueil de l’autre”. Et de conclure: “Aimer, c’est être un autre, c’est habiter un autre”.
L’homme et sa pensée ont agi en moi de façon concomitante. Il ne m’aurait jamais été
possible d’accueillir les paroles d’un homme dont les mots n’auraient été suivi, ou
précédé, de l’action. Maurice Zundel vivait ce qu’il disait ou… disait ce qu’il vivait. C’est la raison pour laquelle son style est si intime, si chaleureux, si humain tout simplement.
Maurice Zundel n’a rien découvert de fondamental en matière de connaissance de Dieu, mais il a le génie de la parole, de la tradition orale qui est celle-même de la Bible.
Du reste, il ne porte pas de jugement et son discours n’est jamais péremptoire. Il ne
s’adresse pas à nous en philosophe (qu’il était) ou en mystique (qu’il était aussi). Sa parole est toujours accessible même si elle appelle la réflexion. Il nous parle en
permanence, depuis, et, avec son cœur et c’est bien la raison pour laquelle il touche
“notre” cœur justement. Quand il dit que “le bien n’est pas quelque chose à faire. Le bien , c’est quelqu’un à aimer, quelqu’un qui est là, qui se donne, qui ne s’impose jamais, tout en se proposant toujours”, en deux petites phrases, il va à l’essentiel. En quelques mots, il nous conduit à l’essence de la Création, et en plus!, il le fait avec douceur.
Autant que j’ai pu découvrir de lui, Maurice Zundel était un homme pétri d’une
infinie tendresse qu’il savait communiquer jusque dans ses écrits. Une histoire rapportée par France Quéry m’a tout particulièrement bouleversée. Elle raconte comment, un jour, une jeune fille sur le point de se suicider, vint trouver le Père Zundel. Elle lui confia n’être aimée de personne, ni même de sa propre mère. Quand elle eut fini de lui raconter sa jeune vie, tissée de souffrances intérieures, la jeune fille nota que de grosses larmes coulaient sur les joues du prêtre qui lui lança alors “Mais moi,… je vous aime!!”. Ces quelques mots ressuscitèrent la jeune fille à une nouvelle vie. C’est cela “Maurice Zundel”: des mots qui viennent, en urgence, du cœur.
Le prêtre n’est pas prisonnier des conventions de sa fonction. Il est déjà cet Autre,
quasi transparent à la Parole du Seigneur. Il me rappelle le mot de l’apôtre Jean: “Et le
verbe s’est fait chair”. Un homme aussi humble, aussi attentif, capable d’un tel amour, ne pouvait qu’être authentique:
“ C’est dans la mesure où les autres sentiront en nous le rayonnement de cet amour, le respect de cette tendresse, c’est quand nous serons vraiment une source de liberté, un espace de lumière, quand à travers nous, ils se sentiront joints au plus intime d’eux-mêmes, quand à travers notre visage, ils devineront, sentiront, pressentiront le visage de l’éternelle beauté, c’est alors qu’ils
auront la chance, la seule chance, pratiquement, de rencontrer le vrai Dieu.”
Maurice Zundel ne m’a pas “donné la foi”, car elle ne se donne pas, mais il m’en a
incontestablement ouvert les portes en me faisant faire la connaissance d’un Dieu que
j’ignorais, dont personne encore n’avait su me parler. J’avais l’ “idée”, d’un Être tout-
puissant, tout-pouvoir, lointain, forcément inaccessible. Cette force, toute-extérieure à
moi-même, m’épuisait et finissait par me décourager de ne jamais pouvoir un jour
entr’apercevoir l’ombre de son ombre!
Et puis Maurice Zundel est venu faire tomber de son piédestal, ce dieu qui n’était
pas Dieu. Je découvrais au fil de ses écrits que Dieu est là, au plus intime de nous-même,éternellement présent. Que Dieu vit en, et, avec chacun d’entre nous et que cette Vie qui court à travers les âges, n’est qu’Amour.
Maurice Zundel a une façon si étonnante, si grandiose de vous faire partager sa
conviction, qu’il me semble le dénaturer par mes propres mots que, pourtant, il ne cesse de m’inspirer. Lire Maurice Zundel, c’est l’entendre nous demander de “devenir le sanctuaire de la Présence divine”. Ce style crée spontanément une intimité entre lui et le lecteur, et c’est cette première intimité qui nous aide à entrer ensuite dans celle de Dieu.
Car Dieu est notre intimité, oui, notre essence, notre “origine” pour reprendre encore
Maurice Zundel. J’ai beaucoup creusé cette idée de “l’intimité de Dieu” par le silence
intérieur dont il était si friand: “Le silence de soi, qui accueille tout et ne limite rien” disait-il !
Comment ne pas être bouleversé par la profondeur de cette réflexion?! Toutes les
pensées de Maurice Zundel -et elles sont nombreuses, toutes plus pénétrantes les unes que les autres- déclenchent en soi un formidable souffle de liberté intérieure. Seulement prévient-il: “ la connaissance de Dieu n’est pas une possession mais une dépossession”. Il nous invite à une liberté à laquelle nous ne sommes pas habitués, une liberté retrouvée qui n’a rien à réclamer.
“ L’homme est digne du fait de la valeur infinie qu’il pressent au fond de lui. L’intériorité
permet à l’homme de devenir source et origine de ses propres actes et pensées et trouve son accomplissement dans l’espace infini auquel elle donne accès. “
Quand j’ai senti la place de Dieu en moi, ou plutôt, la place que je voulais bien Lui
faire en moi (avec Maurice Zundel j’ai appris l’importance du langage!), j’ai continué à
suivre Maurice Zundel quand il nous dit “Dieu ne peut régner en nous sans nous, car Dieu est Amour, n’est qu’Amour et l’Amour ne peut être reçu que par l’Amour”. J’avais entendu dire que “Dieu est Amour” mais l’expression sonnait toujours tellement creux, comme une phrase trop rabâchée et finalement vidée de son sens.
En revanche, entendre Maurice Zundel parler de l’Amour, crée une telle émotion
qu’il ne peut s’agir de superbes envolées lyriques et mystiques! Il faut l’entendre vous
démontrer, vous prouver littéralement, qu’un Dieu Amour ne peut-être que don,
humilité, pauvreté, désappropriation… Il faut l’écouter vous expliquer que c’est Dieu
qui s’agenouille devant nous, que c’est Dieu qui se donne perpétuellement à nous, que
c’est Dieu qui meurt sur la croix à chaque fois que, nous, nous manquons à Son Amour !
Son ardeur finit par nous convaincre quand il nous demande d’être -nous!- des tout-
puissants pour Dieu.
Maurice Zundel renverse toutes nos confortables croyances, non par jeu de l’esprit
mais bien dans le souci d’approfondir en permanence ce que nous savons déjà de Dieu mais que par convenance personnelle, nous voulons oublier ou mettre de côté. Un dieu tout-puissant, à qui l’on demande tout, est tellement plus facile à accepter qu’un Dieu Amour qui dépend absolument de nous !
Maurice Zundel ose des phrases, ose des comparaisons. Du Dieu, notre Père, il en
fait Dieu notre Enfant, sur qui, il nous demande de veiller avec le même amour qu’un
parent porte à sa progéniture. Maurice Zundel nous rend responsable de nos destins. Il veut faire de nous des adultes (comme d’ailleurs St Paul en fait aussi l’allusion) parce que “ c’est le destin de Dieu qui se joue en nous. “
Dieu vit en nous, avec nous, ici et maintenant. Quand Maurice Zundel dit que nous
sommes les dépositaires de Dieu, que c’est à nous de Le prendre en charge, que c’est Lui qui nous prie… il fait de Dieu, un Dieu Amour Tout Fragile. A sa manière toujours si fulgurante, il va au coeur même du plus grand de tous les commandements comme nous le révèle Jésus: “Aimez-vous les uns les autres, comme Votre Père vous aime”. Il n’invente pas un nouveau Dieu, il le restitue; il n’invente pas de nouvelles lois, il les met en application.
“ Jésus nous a révélé et rendu présent dans sa Personne le Dieu Trinitaire, et Dieu dépouillé, le Dieu qui n’a rien, le Dieu qui donne tout, le Dieu qui est une éternelle respiration d’amour, le Dieu qui est Dieu parce qu’il n’a rien, le Dieu qui n’a contact avec soi-même qu’en se communiquant dans la respiration du Père, du Fils et du Saint-Esprit. ”
La vie de Jésus-Christ,Dieu Vivant Incarné, n’a cessé d’inspirer Maurice Zundel dans sa compréhension de l’’Amour. Il me fait constamment plonger au cœur même de cet Amour fou, insensé, que Dieu a pour les hommes. Dieu nous aime comme Jésus nous l’a montré: jusqu’à donner sa vie pour nous. Jamais je n’aurais compris au plus profond de mon être, la dimension de cet Amour, jamais je n’aurais été entraînée aussi loin dans la question de savoir “Qu’est-ce qu’aimer?”, sans la force de conviction de Maurice Zundel. Ses qualités de philosophie et de théologie le poussent à forcer le raisonnement, la logique, le sentiment.. jusqu’au bout, au plus intime, au plus juste, au plus vrai.
Évidemment l’Évangile, que je connaissais peu auparavant, a pris un tout autre sens
maintenant puisqu’il s’agit de protéger Dieu de notre propre mal. “ Dieu est innocent!”
ne cesse de répéter Maurice Zundel.“ La croix, c’est Dieu qui pleure, c’est Dieu qui meurt de nos refus d’Amour.” Mais il ajoute: ”La seule issue à nos désespoirs est de consoler Dieu dans les autres. ” Toujours ce concept essentiel chez lui, de la relation dont découle la Trinité : puisque Dieu est Amour, Il ne peut être seul. “ Dieu est unique mais il n’est pas solitaire…
ce qui veut dire que la connaissance est un regard vers l’autre. “ Avec Maurice Zundel, il n’y pas d’Amour possible sans relation, sans l’Autre comme sans Dieu.
Rencontrer Dieu de cette façon, a évidemment fait émerger en moi une autre foi, une
autre façon de prier, et surtout une nouvelle façon d’aimer Dieu, mon prochain et moi-
même. Ma vie se construit maintenant dans un mouvement qui va “de l’intérieur vers
l’extérieur”. Je bâtis ma vie sur Celui qui vit et aime en moi, et sur cette pierre
fondatrice, je cherche à vivre selon ce que je sais de Lui au travers des écritures, et,
évidemment de Son Fils.
Le plus beau cadeau que Dieu nous a fait au moment de Notre Création, est notre
libre-arbitre. Quand j’ai compris, grâce à Maurice Zundel, que Dieu ne pouvait pas être
une toute-puissance qui influencerait nos vies au risque sinon de nous reprendre notre
libre arbitre et donc de se renier Lui-même, j’ai mesuré alors l’étendue de la liberté qu’Il m’avait donnée. Dieu ne force rien, ni personne. Il nous attend indéfiniment, comme le père si miséricordieux dans la parabole de l’enfant prodigue. “ Dès lors, la création est une histoire à deux, où l’homme peut blesser Dieu par son refus d’alliance. “ En nous impliquant en permanence dans le processus de la Création, Maurice Zundel crée une nouvelle Genèse: notre Nouvelle Alliance.
Avec lui, les voiles de nos ego, de nos peurs, de nos mesquineries, de nos limitations, se lèvent les uns après les autres. Il nous aide à y voir clair en nous, à “séparer le bon grain de l’ivraie”. “ Ce qui sépare toujours c’est le moi, c’est la possession. Quand on est dépouillé de tout, on devient un espace libre et le monde entier peut s’y abriter. “ Le “Dieu de Zundel” est Celui de chacun d’entre nous, un Dieu qui n’a de cesse de nous inviter à partager Son Infini Amour.
Toute la Création est contenue dans le mot “Amour”: notre Source, notre Origine,
comme notre Devenir, notre Nouvelle Naissance. Avec Maurice Zundel, nous nous
sentons en marche vers notre divinité: “ La vocation de l’homme c’est de partir à la rencontre de cet infini par la désappropriation de soi, le don de soi et l’accueil de l’autre.”
Suis-je devenue “zundelienne”?! Le plus grand compliment, je pense, que je pourrais
faire à Maurice Zundel lui-même, serait de répondre par la négative! Je n’ai jamais
cherché à écouter sa voix (enregistrée) et je n’ai toujours pas encore lu la totalité de ses livres (pour faire durer, je l’avoue, mon plaisir!). Je ne veux surtout pas tomber dans le culte du personnage sinon tout ce dont il a témoigné, n’aurait, à mon avis, plus aucun sens. Mais je l’admire infiniment pour tout ce qu’il nous donne et ces lignes que je n’aurais jamais écrites sans le connaître, le montrent mieux que tout autre éloge.
Le caractère unique de la pensée de Maurice Zundel, est que justement, elle s’infuse
en nous pour que nous en soyons les détenteurs à notre tour. L’homme, comme le
prêtre, ne possédait rien ou presque. S’il a voulu qu’après sa mort, tous ses documents personnels soient détruits, c’est qu’il avait déjà entamé un extraordinaire dépouillement de lui-même, sur les plans matériel et physique, mais aussi intellectuel ( “ L’érudition ne m’aura appris qu’à désapprendre. “ disait-il) . Maurice Zundel nous veut libres, totalement libres, pour pouvoir aimer librement, totalement. Il ne cherchait rien d’autre qu’à nous ouvrir à nous-mêmes pour mieux nous ouvrir à Dieu Amour. Et lui-même nous aimait à l’image de Dieu: dans le don total de soi. “ Dieu est don et désappropriation. Dieu EST en ce sens pauvreté. “ Maurice Zundel vivait ce qu’il croyait.
Sa pensée me paraît plus moderne que jamais car la génération actuelle cherche
inconsciemment le Dieu qu’il nous fait découvrir et le cheminement nécessaire pour Le trouver. La parole de Maurice Zundel est naturellement sacramentelle et la religion
catholique, c’est-à-dire “universelle”, devient, enfin ,avec lui… la religion de l’Amour !
Jocelyne Chemier Mishkin