« Il me manque quelque chose ! J’ai tout pour être heureux ou heureuse, mais il me manque quelque chose ». On a beau faire le ménage ou toute autre activité pour s’occuper, il n’en reste pas moins vrai que cette sensation diffuse d’un manque persiste. « J’ai manqué à ma parole ». Le devoir moral de respecter son engagement par la parole donnée constitue une autre facette du manque. « J’ai manqué de discernement ». La capacité de s’extraire d’une situation afin de mieux l’analyser et se soustraire, autant que faire se peut, à la précipitation, voilà encore un autre aspect du
manque. « J’ai manqué de tendresse et d’affection ». En regardant son passé, il nous arrive d’éprouver des remords quant aux défaillances affectives de notre environnement parental par exemple. Surtout quand celui-ci nous a privé d’une
dimension qui nous semble essentielle. « J’ai manqué mon audience » souligne plutôt le fait que je n’ai pas assisté à l’audience à laquelle je devais me rendre. En quelque sorte je me suis soustrait ou abstenu de me présenter. Le manque peut prendre plusieurs visages et peut s’appliquer à diverses situations. « Tu me manques » va nous amener sur le terrain amoureux. « J’ai manqué mes examens » nous informe sur le fait que la personne n’a pas réussi ses examens. Il manque à l’enfant ce qui lui a été donné et qu’il a dilapidé. S’impliquer pour atteindre la valeur des choses. Manque-t-il quelque chose de l’ordre du physique, du psychique ou du spirituel ? Le manque est tapis dans les recoins de notre âme et resurgit tel un diablotin à certaines occasions de notre vie.
Par un jeu de rebonds, le manque nous renvoie entre autres au désir, à la désunion, la peur de manquer, la honte et la culpabilité. Ceci nous amène à imaginer une suite d’obligations nécessaires à son comblement. Le conditionnement que représentent ces obligations nous fait cheminer vers la répression, la suppression et la dépression
et bien d’autres espaces de notre psychisme qui œuvrent à notre dévalorisation. Comme on peut le constater, le manque ne fonctionne pas tout seul. Il est en lien avec d’autres aspects contraignants et insatisfaisants qui agissent tels des alliés.
C’est ce que je me propose d’explorer tout au long de cet article.
Il me semble qu’une grande partie du manque prend ses racines dans l’échec. Parce que je n’ai pas réussi à obtenir satisfaction, je peux être amené à considérer qu’il me faut réitérer l’expérience jusqu’à enfin obtenir l’objet de mon désir. La frustration apparaît donc comme une grande pourvoyeuse du sentiment de manque. Mais tous les « manques » ne sont pas à prendre au même degré. Le manque de nourriture n’a pas le même impact et la même résonance qu’un manque relationnel ou un manque de complétude.
Lorsque nos processus vitaux tels le besoin de nourriture et d’eau sont engagés, le manque devient impérieux car il s’agit d’un espace de survie ( Cf La pyramide Maslow ). Cette dernière agit de façon très primaire et polarise entièrement notre esprit au point de focaliser notre attention sur les seuls éléments réputés manquants. Nous devenons sourds à toute sollicitation extérieure. « Ventre vide n’a pas d’oreille » nous dit le dicton populaire. Or le jeûne possède quelques vertus thérapeutiques. Yvon le Maho et Thierry de Lestrade d’une part, Thierry Casanovas d’autre part et encore Eric Gandon proposent une vision thérapeutique du jeûne contre certains dysfonctionnements corporels et psychiques. Dans le cadre d’un jeûne, le manque de nourriture, mais pas d’eau, peut être psychiquement contenu car perçu comme un mieux-être à venir. Dès lors les participants acceptent les inconforts des premiers jours qui se manifestent sous forme de maux de tête parfois violents, de fatigue profonde et de raideurs articulaires entre autres.
Cette crise d’acidose est bien connue des personnes pratiquant le jeûne et ils la vivent comme étant une étape nécessaire à l’entrée dans le processus du jeûne. De nombreux témoignages insistent d’ailleurs sur la sensation de bien-être physique et psychique vécue une fois la crise d’acidose passée. Lorsqu’un manque associé à un processus vital vient à émerger dans notre vie, les prédispositions psychiques de la personne semblent pouvoir supplanter l’affolement généralement lié au manque de nourriture. C’est du moins ce que nous suggèrent les pratiquants au travers de ce qu’ils disent de leur expérience.
Cette façon de mettre en opposition esprit et matière ( psychisme et avoir faim ) peut sembler provocatrice comme entrée en matière. Il s’agit davantage d’un point de vue à partir duquel je vais naviguer dans les arcanes du manque. Pour ma part, je soutiens que l’homme évolue vers sa complétude et ceux qui disent, au même titre que Isabelle Yuhel ( psychanalyste lacanienne ) sur le site psychologies.com, que « Le destin de l’être humain est de vivre dans un manque existentiel impossible à combler », font référence à une étape du processus d’individualisation ( Cf CG Jung ). Cette
étape sert de chemin d’expériences et ne peut être confondue avec la nature essentielle de l’être humain.
L’existentialisme présuppose que l’existence arrive avant l’essence, car cette dernière est un aboutissement. L’homme se définit, selon elle, par ses actes. Il est né vierge au monde dans lequel il va puiser de ci, de là ce qui lui agrée. Je préfère envisager , même si une partie de ma conviction peut reposer sur une croyance, je n’en ai pas moins des arguments, que l’être humain est une conscience qui s’incarne pour faire une expérience de vie. Une tendance de la psychiatrie actuelle tend à confondre le psychisme et le cerveau. Philippe Borrel dans son documentaire « Un monde sans fou » souligne cette dérive dont il livre les effets collatéraux. En réduisant l’être humain à une succession de réponses endocrinales, des chercheurs ont réussi à stabiliser les humeurs de personnes atteintes de troubles psychiatriques invalidant. Comment ?
En implantant dans le cerveau de ces mêmes personnes des dispositifs de distributions hormonales. Une fois le dispositif implanté dans le cerveau et les quelques réglages nécessaires au bon fonctionnement de la distribution des
produits réalisés, les personnes trouvent une humeur « stable ». Si l’exploit technique est à saluer, et d’ailleurs les premiers intéressés sont aussi les premiers à crier au miracle, il n’en reste pas moins vrai que la question de l’être en soi a été évacuée par le succès de la méthode. La question de savoir « De quelles souffrances la personne cherche-t-elle à se débarrasser ? » ou bien « De quelles souffrances cherche-t-elle à témoigner ? » ou bien encore « Quelles mémoires sont à l’œuvre dans ces manifestations morbides ? N’y aurait-il pas un moyen d’interroger ces mémoires pour alléger le fardeau des personnes ? » et bien d’autres encore sont balayées. Toutes ces questions sont repoussées désormais par un revers de manche au motif de la supériorité opérationnelle de la méthode chimique. Croire que la découverte de sa
psyché est un but opérationnel de la vie, c’est, me semble-t-il, prendre le problème à l’envers. C’est le chemin qui est le but. C’est le fait de cheminer qui nous rend notre humanité. Nous menons notre expérience de vie au travers de connexions avec le monde des archétypes, des valeurs, d’un inconscient collectif… L’expérience humaine s’est, me semble-t-il, stratifiée depuis des siècles et des siècles. Nous ne percevons plus le monde comme nos arrières grands-parents et encore moins comme Neandertal. Ceci fait de nous des êtres singuliers qui cheminent à partir d’un arrière
plan culturel et cultuel qui prend sa forme et son sens dans l’histoire de l’humanité. Nous n’arrivons pas vierges au monde. Nous venons au monde baignés de l’histoire de l’humanité pour y incarner une singularité. Il me paraissait important de clarifier mon arrière plan culturel pour aborder cette question du manque car je le sais très voire trop prégnant pour ne pas le porter à la connaissance du lecteur que vous êtes.
Je vais donc essayer d’explorer la question du manque depuis les deux directions que je proposais dans le paragraphe précédent. A savoir, dans un premier temps, dans un sens descendant, c’est-à-dire que chacun d’entre nous chemine tout au long de sa vie au travers d’archétypes, de valeurs, de symboles, d’un inconscient collectif. Puis dans un second temps j’examinerai la question du point de l’homme horizontal qui glane de ci, de là des expériences grâce auxquelles il va se modeler une idée du monde et de son fonctionnement. Il est à noter que dans la philosophie chinoise, l’homme est comparé à un assemblage de souffles faisant l’expérience d’une incarnation. De fait les questions de la responsabilité envers l’autre, de la loi de cause à effet, y compris du point de vue du groupe humain dans son ensemble ( le karma diraient les bouddhistes ) et d’autres questions toutes aussi importantes, ne sont pas abordées laissant à chacun la possibilité de se laisser aller à ses pulsions primitives sans aucune espèce de remords.
A quoi peut bien servir le manque dans une vision verticale de l’homme ? Si l’homme est un esprit faisant l’expérience de l’incarnation, à quoi peut bien lui servir le manque ? Et si le manque était un outil permettant à l’homme de faire l’expérience de l’incarnation, c’est-à-dire de la matière ? Mais le manque ne peut pas fonctionner tout seul. Pour que quelque chose me manque, encore faut-il que je sois en lien avec le désir. Si je désire quelque chose, c’est que je ne possède pas cette chose ou bien pas en exemplaires suffisamment nombreux à mon goût. La curiosité aussi peut susciter un manque. Si je suis curieux des choses, c’est que je ne possède pas le savoir les concernant. On le voit bien, il manque toujours quelque chose qui se situe, dans un premier temps, à l’extérieur de nous-même. Que ce soit de l’ordre du matériel, de l’intellect ou de l’affectif. L’autre est là, face à nous, qui incarne des attributs que nous désirons. Cet autre peut être un objet dont les formes et les couleurs chatoient mes yeux et mes sens. Cet autre peut être aussi un trait de caractère qu’une personne de notre entourage plus ou moins proche possède. Ou bien encore cet autre peut être incarné dans une personne sous forme d’émanation. On dit alors qu’il se dégage de cette personne de la simplicité, de la joie de vivre, de l’optimisme ou à contrario, de la complexité, de la tristesse, du pessimisme. Cette liste n’est pas exhaustive et peut très bien être complétée à loisir. L’autre est là, face à moi. J’en suis séparé et cette séparation va agir comme un aimant. Comme un aimant, je pourrais tout aussi bien être attiré ou repoussé. Ainsi je vais avoir tendance à partager le monde en deux. D’un côté il y a ce qui m’attire et que je dis aimer. De l’autre côté, il y a ce que je repousse et que je dis ne pas aimer. Le fait d’être séparé du monde extérieur semble être l’une des bases du manque. A contrario, si j’étais uni au monde, je n’aurai pas à faire l’expérience du monde. Le monde serait alors en moi et je n’aurais pas à aller à sa rencontre. Être unifié, c’est avoir fait suffisamment l’expérience du monde pour l’incorporer. L’état de dualité dans lequel nous vivons, morcelle notre perception du monde et c’est grâce à ce morcellement que nous pouvons reconstruire notre unité. Pour le dire dans les mots que Hegel utilise : « Comment ce qui est en soi, peut-il devenir pour moi ? Telle est en somme la formulation philosophique du problème de la connaissance qui met au premier plan la notion de représentation ». Le morcellement ressemble quelque peu à l’image du big-bang. Les astrophysiciens comme Hubbert Reeves, Trin Xuan Thuan, Etienne Klein nous disent que notre univers visible ( 90 milliards d’années lumière ) contenait dans une tête d’épingle en son commencement. Au début, tout était unifié et par une explosion gigantesque la désunion est apparue. Les textes traditionnels nous parlent tous métaphoriquement de ce moment où l’unité a été rompue. C’est à ce moment là que Adam et Eve sont chassés du paradis. Ils connaissent leurs différences par le fait de la séparation. L’un est homme. L’autre est femme. L’un est en bosse. L’autre est en creux. Et c’est parce qu’ils vont pouvoir s’emboîter qu’ils vont connaître à nouveau l’unité. Cette unité est trop fugace et le désir de la recontacter va générer le manque. C’est en cela que la séparation me semble être un des piliers fondateurs du manque. Lorsque nous sommes séparés des choses et des êtres nous pouvons enfin aller à leur rencontre. Je vais donc aller à la rencontre de l’autre parce que je vais reconnaître en lui quelque chose qui m’attire. Mais, si je le re-connais je dois bien avouer que je le connais de nouveau.
Donc, il existe déjà en moi quelque chose que j’ai perdu de vue et que je reconnais en l’autre, dans cet extérieur qu’est l’autre. Pour continuer de développer l’image, l’autre est un miroir me permettant d’entrer en contact avec quelque chose qui préexiste en moi et que j’ai perdu de vue. Si l’autre est le dépositaire de quelque chose que j’ai perdue de vue, je peux dire en toute bonne foi, qu’il me manque quelque chose et que le contact avec cet autre me complète à cet endroit là. Je me sens réunifié, à cet endroit là. Sous cet angle, la séparation et le manque apparaissent comme des outils mis à la disposition de l’humanité pour prendre conscience d’elle même. De mieux se connaître. Cette proposition de la re-connaissance, me semble être un pas supplémentaire à la proposition de Hegel.
Sur la base de la séparation, l’état de manque émerge. Et ce manque est l’occasion d’aller à sa propre rencontre. Dans cette perspective, le manque peut jouer un rôle moteur plutôt qu’un rôle freineur. Dans sa forme la plus basique, le manque nous est proposé par les publicitaires comme étant lié au moteur du désir. Désirez ceci ou cela. Il vous manque telle ou telle caractéristique. Cela peut même provoquer de la jalousie, un état d’insatisfaction profonde, une vraie frustration. Sous son aspect horizontal, le manque écrase les perspectives de s’en sortir. Il apparaît à l’horizon de nos panoramas affectif, émotionnel, sentimental et intellectuel. En envahissant tous les espaces de la personnalité, le manque devient un horizon qui toujours s’enfuit au fur et à mesure de nos pas qui nous semblent nous rapprocher de lui.
En fait il serait possible de regarder le manque de façon noble. C’est-à-dire, quelle est son utilité profonde ? Si l’utilité du manque est de nous faire aller vers nous-même, alors il est possible de le lier à d’autres valeurs telles que la patience, la curiosité, l’humilité ( celle qui fait que l’on est à sa place ), le respect de la différence et bien d’autres valeurs à caractère positif. Si nous comprenons profondément que le manque est un outil, alors nous sommes capables de nous en servir pour le développement de la personne que nous sommes. Aller vers l’être en soi, le laisser émerger, se rendre compte que tout est là, parfaitement agencé afin que nous puissions servir le vivant, la vie. Voilà une trajectoire du manque grâce à laquelle nous pouvons œuvrer. Mais tout ceci est un chemin long, rugueux, escarpé, ennuyeux, rempli d’introversion et d’extraversion et plus encore.
Dans la perspective que le manque est un outil, nous pouvons l’associer à des valeurs positives. Par exemple la rencontre avec l’autre peut être l’occasion d’une fraternité, non dans le sens de la familiarité, non ! Plutôt dans le sens de ce qui est fraternel, c’est-à-dire accueillant, écoutant. La fraternité est un espace dans lequel je peux accueillir l’autre dans ses différences, même les plus fondamentales, pour écouter son témoignage de vie au travers de ses idées, de ses valeurs, de sa façon de vivre… Au titre que celui que je rencontre est un être humain et que nous appartenons à la même
humanité, je peux lui faire le présent de ma présence, de mon écoute, de l’exercice de mon discernement. Je peux préférer partager avec lui des heures pleines plutôt que des heures creuses. Car la rencontre avec l’autre est une joie profonde. Pas forcément celle qui amène le sourire sur les lèvres. Mais la joie d’écouter un témoignage singulier.
Écouter et ne pas anticiper, laisser dire et non couper la parole, demander des éclaircissements plutôt que de juger voire préjuger. Même si c’est toujours la même histoire humaine qui est racontée, essayons de nous laisser toucher par la
singularité qui est en train de nous être dite. C’est aussi cela la curiosité de l’autre. Bien sûr que la phylogenèse de notre humanité est partagée en de multiples expériences de vie qui s’incarnent dans des histoire ontogénétiques. Si nous pouvions nous efforcer d’être présent à ces deux plans de l’histoire qui est en train de nous être contée, peut-être comprendrions nous mieux ce qui est en train d’être dit. C’est en partie cela l’écoute bienveillante. « Où en es-tu et que me racontes-tu mon ami humain ? ». Dans ce cadre là, l’autre est un complément. Il me rend plus complet. Parfois sa seule présence me complète. La complétude est parfois au-delà des mots et de l’émotionnel. Elle peut être de l’ordre du sentimental ou plus clairement dit, du senti-mental. L’écoute de l’autre dans sa phylogenèse est accessible du point de
vue de ce senti-mental. Les écoutants, ceux dont le métier ou les prédispositions ou les fruits d’un travail de méditation les amènent à écouter à plusieurs niveau celui qui leur fait face sont, en général, présents en plusieurs endroits en même temps. Voilà ce qu’apprend l’écoute profonde. Je peux être dans l’histoire de l’autre tout en étant relié à mon histoire afin de clarifier ce que je ressens du propos qui m’est tenu. Trier, organiser, se laisser aller dans la sensation, écouter ce qui est dit et entendre ce qui ne l’est pas sont autant de dimensions utilisables et accessibles par tout un chacun. Encore faut-il se donner le temps de prendre la direction. Les exercices quotidiens ne manquent pas pour celui qui décide de prendre cette direction, cette voie là. Ce qui paraît magique au débutant est une évidence pour le maître. Aussi l’entraînement à
l’écoute extérieure et intérieure est un long chemin car nous n’apprenons plus à écouter. Nous apprenons principalement à réciter et déployer une méthode apprise. Pouvoir faire confiance à son ressenti est un véritable apprentissage. Encore
nous faudrait-il des maîtres et des maîtresses sensibilisés pleinement à cette formation. Or, ils sont principalement formatés pour évaluer des compétences préexistantes. C’est du moins ce qui ressort de l’enseignement dans les petites
classes de maternelle et de cours élémentaires ( Cf reportage Éducation nationale un grand corps malade, réalisé par le Collectif Racine
https://www.youtube.com/watch?v=qkS4BAOiDQE ).
Ce formatage et non cette formation fait principalement de nous des êtres fixés sur des objectifs. Le sensoriel, le sensible sont exclus du champ de notre perception et nous nous replions sur nous mêmes au point de ne plus éprouver le besoin de l’autre, son manque. En agissant ainsi nous nous replions sur notre sphère égotique.
Khalil Gibran nous livre une réflexion sur l’amitié dans son livre « le prophète ».
Votre ami est votre besoin qui a trouvé une réponse. Il est le champ que vous semez avec amour et moissonnez avec reconnaissance. Il est votre table et votre foyer. Car vous venez à lui avec votre faim, et vous cherchez en lui la paix. Lorsque votre ami parle de ses pensées vous ne craignez pas le “non” de votre esprit, ni ne refusez le “oui”. Et quand il est silencieux votre cœur ne cesse d’écouter son cœur ;
Car en amitié, toutes les pensées, tous les désirs, toutes les attentes naissent et sont partagés sans mots, dans une joie muette.
Quand vous vous séparez de votre ami, ne vous désolez pas ; Car ce que vous aimez en lui peut être plus clair en son absence, comme la montagne pour le randonneur est plus visible vue de la plaine.
Et qu’il n’y ait d’autre intention dans l’amitié que l’approfondissement de l’esprit.
Car l’amour qui cherche autre chose que la révélation de son propre mystère n’est pas l’amour, mais un filet jeté au loin : et ce que vous prenez est vain.Et donnez à votre ami le meilleur de vous-même. Et s’il doit connaître le reflux de votre marée, laissez le connaître aussi son flux.
Car qu’est-ce que votre ami si vous venez le voir avec pour tout présent des heures à tuer ? Venez toujours le voir avec des heures à faire vivre. Car il est là pour remplir vos besoins, et non votre néant. Et dans la tendresse de l’amitié qu’il y ait le rire et le partage des plaisirs. Car dans la rosée de menues choses, le cœur trouve son matin et sa fraîcheur. Si le manque est un outil et qu’il peut être associé à des valeurs positives, alors nous pouvons continuer de l’associer à des mots comme, le léger, le ludique et le profond. Face au manque, le léger peut faire, me semble-t-il, un
bon contrepoids. Et l’envisager comme aide de camp du manque, est une idée qui me paraît fort intéressante. Le manque créé une aspiration pouvant nous amener vers des tourments divers et variés. Ainsi le manque peut nous amener à la jalousie, la colère, la rancune, l’esprit de supériorité, l’esprit de compétition… Toutes ces carapaces nous empêchent de nous connecter au profond de nous-même et d’éprouver la joie de ces retrouvailles. Le chemin, bien que ardu, peut être envisagé comme une route d’apprentissages divers et variés et ludique. Nous pouvons être sérieux dans notre démarche, sans nous prendre au sérieux. Être sérieux ne sous entend pas que nous soyons incapables de festoyer avec les choses simples de la vie. Un homme comme Pierre Rabhi me semble témoigner de la simplicité heureuse dans son parcours de vie. Son chemin n’a pas été une longue route toute tracée, mais il a réussi à démontrer par son engagement quotidien, qu’il est possible de vivre et faire vivre une famille de cinq personnes à partir d’une terre jugée aride. Le manque était partout présent. Manque d’eau. Manque d’électricité. Manque du confort élémentaire. Manque de terre fertile. Son désir de montrer et démontrer qu’il est possible de transformer ce lopin de terre en terre d’abondance « relative » a constitué l’épine dorsale de sa vie. En rendant à la terre ce qu’elle a produit, elle peut devenir abondante. Encore faut-il savoir l’écouter et lui donner ce dont elle a besoin. Encore faut-il savoir l’observer pour comprendre son fonctionnement et l’orienter vers une potentialisation des ressources. La permaculture ( la culture permanente ) est à ce titre exemplaire. La permaculture, avant d’être une compilation de savoirs tous étonnants sur les plantes et leurs compatibilités, est avant tout une pensée philosophique pensant l’homme dans son environnement culturel (et la culture ne représente pas que les arts). La question de fonds qui est posée peut être énoncée de cette façon : « Comment faire en sorte d’équilibrer avantageusement pour l’homme l’emploi de son temps entre production, récolte et vie culturelle. » Notre société est tellement en manque de lien, que beaucoup de pensées dites alternatives, mettent au cœur de leurs projets la question de la satiété relationnelle. Cette satiété demande aussi de la frugalité car la gloutonnerie actuelle est vécue comme une dévoration. Nous sommes tellement avides de sensations que nous demandons « toujours plus ». Nous sommes prêts à dévorer le monde pour satisfaire notre insatiabilité. C’est pour cela que la frugalité peut nous ramener à la légèreté. Être léger dans une relation à un objet ou un être humain c’est respecter l’identité de l’autre et accepter qu’il se dévoile au fur et à mesure. C’est à ce prix qu’une réciprocité peut s’installer. L’autre n’est pas pesant. Au contraire, il est léger. Et c’est ce qui rend la relation ludique. Je ne suis pas en train de décrire un monde idéal et hors de portée. Je parle de dimensions tout à fait accessibles. Je crois qu’il faut pouvoir imaginer que ces notions de respect, de léger, de ludique et profond sont tout à fait compatible avec une vie de tous les jours. Ce n’est pas revenir à un code moral étriqué qui serait hérité du XIX ème siècle. Non ! Il s’agit de faire passer sa conscience de l’horizontale à la verticale et essayer de
comprendre quelle expérience de vie l’esprit que je suis cherche à vivre. Depuis cette perspective, beaucoup de choses changent dans leur perception. Toute une partie de l’ego, surtout celle qui amène à l’égocentrisme, est mise en suspend.
Les questions ne se posent plus à partir du « je incarné » et de ses manques supposés. Elles se posent à partir d’un mystère à élucider grâce à des outils, dont le manque. Ainsi, pouvons nous redevenir curieux de notre vie, retrouver le goût de l’aventure car c’est tout un ensemble de perspectives qui s’ouvrent. Dans sa perception de l’être humain, notre société occidentale a tissé une scission profonde entre l’esprit et la matière. La prédominance de l’esprit sur la matière proposée initialement par Platon a conduit peu à peu à penser que la matière était le diable, Satan en personne. La tradition chrétienne nous rebat les oreilles de cette sottise. Si nous nous efforçons de replacer la proposition de Platon dans le contexte de son époque, nous nous apercevons que le monde hellénique ne méprisait pas le corps. Ce que Platon essaie de dire à ses contemporains est de prêter attention à la
prééminence de l’esprit sur la matière. Il est préférable à ses yeux d’échanger des biens métaphysique plutôt que des biens matériels. Il est préférable de vivre selon des préceptes d’innocuité plutôt que de laisser aller les appétits de la chair et la facilité du ragot. Car devenir humain s’apprend. Ce n’est pas donné en prime instance. Et pourtant les deux aspects sont donnés à l’humanité. Les humains sont dotés d’un esprit, lui-même doté d’un corps. Et c’est parce que cet esprit veut faire l’expérience de l’incarnation qu’il s’est doté d’un corps physique. La densité de ce dernier demande à être éclairée. Il manque au corps le lien conscient avec l’esprit et réciproquement. C’est pourquoi Platon insiste grandement sur la conscience du lien. Les préceptes pour mener une vie qui mène vers le beau, le juste et le vrai demandent à ce que
ces valeurs soient incarnées. C’est en cela que l’esprit doit spiritualiser la matière. Et c’est aussi en ce sens que les nourritures terrestres influencent grandement l’état d’esprit. Dans la mythologie grecque, Chiron enseigna aux hommes l’art de la médecine, de la chirurgie et de l’utilisation des plantes. La mythologie nous dit qu’il eu en charge l’éducation d’Achille. Il le nourrit avec les entrailles de lions et de sangliers, de la moelle de louves et d’ours afin qu’il acquière la force de ces animaux. Il initia Achille à la musique, à la médecine, et aux secrets des plantes médicinales, puis lui donna une éducation morale basée sur la justice, la résistance aux passions, et la modération. Chiron fit d’Achille l’exemple même du « héros parfait ». Pour être unifié l’être humain a besoin de se nourrir des forces vitales de son animalité et
c’est pourquoi Chiron nourrit Achille d’entrailles animales. Mais cela ne s’arrête pas là. La seconde partie de l’éducation consiste à canaliser ces forces animales. C’est pourquoi l’enseignement est basé sur la justice, la résistance aux passions
et la modération. Quant à la troisième partie de l’enseignement il convient de soigner au travers de la médecine composée de la musique, qui comprend aussi le chant, de la chirurgie et des plantes médicinales. C’est au prix de cette transmission, j’allais oublier l’art de la guerre et du maniement des armes, que l’être humain peut faire le lien entre la terre et le ciel. C’est pourquoi l’enseignement de Chiron vers Achille est si complet. C’est parce qu’initialement, il manque à l’être humain la conscience de ce lien qu’il est important de former son esprit. Renouer avec son héros intérieur est une évolution majeure dans le processus d’individuation. C’est par ce processus que l’être humain s’affranchit peu à peu de son animalité. C’est prétendre enfin pouvoir vivre en démocratie. Être un héros est une exigence envers soi-même pour s’élever ou aller ou bien encore descendre dans son intime. Toutes les directions sont bonnes pour retrouver cette part de divin en nous. Achille, de par son éducation ( et non instruction ) peut donner la mort par l’art de la guerre qu’il possède, tout comme il peut guérir par l’art de la médecine qu’il possède aussi. En maniant Éros d’une main et Thanatos de l’autre, Achille nous indique qu’il a le libre choix dans l’alternance du cycle de la vie et
de la mort. Il ne lui manque rien, car entre Éros et Thanatos, Achille a été éduqué selon des principes moraux. Ainsi il est en capacité d’exercer son discernement. La vie et la mort sont partie intégrante du cycle cosmique, et à ce titre il est vain de les craindre semble nous dire Achille. Il est préférable d’utiliser cette réalité pour continuer de grandir au fur et à mesure des expériences de vie, et enrichir notre compréhension des valeurs morales qui nous ont été léguées. Celui qui emprunte la voie du héros essaie de comprendre comment fonctionne le vivant de son existence afin de se couler dans ses lois plutôt que de se rebeller. Car toute rébellion entraîne une crispation qui retarde le retour vers sa divinité. Le héros est pétri de cette réalité. Le héros peut vivre au travers de paradoxes apparents car il sait qu’une des lois de
l’univers est la polarisation de la matière. Le fait que nous désignions les choses et les êtres d’une façon ou d’une autre entraîne en creux dans la phrase, l’existence de son inverse. Le jour est à l’opposé de la nuit mais personne ne sait dire
quand commence réellement le jour et quand il finit réellement. Le héros a appris à regarder le monde dans sa complexité et sait qu’il n’existe aucune frontière précise entre les différents états. Même la différence entre le bien et le
mal devient floue. Le plus bel exemple de cette difficulté à distribuer le bien et le mal nous est donnée, à mon sens, dans la Bhagavad-Gita lorsque Arjuna se fait enseigner par Krishna sur le sens de la vie, et ce, juste avant de donner l’assaut sur l’armée en face qui est aussi composée des membres de sa famille !
Aller à la rencontre du mystère qu’est notre vie, c’est donc endosser la position du héros dont l’une des caractéristiques est de rester fidèle à sa blessure initiale. C’est du moins ce que propose Luc Bigé dans son livre « La voie du héros : Les douze travaux d’Hercule ». La blessure initiale représente la base du manque. La blessure nous ampute d’une partie de nous même créant de par la même le manque. Il me manque une partie de moi-même, et je n’aurai de cesse de la rechercher. La blessure est chevillée au corps du héros, et les différentes étapes de sa vie l’amènent
à visiter sa blessure sous différentes formes. Héraclès ( Hercule ), l’enfant roi mi-homme mi-dieu, est déchu de son héritage. Il n’aura de cesse de vouloir le retrouver. Cette recherche commence d’abord par des éléments extérieurs posés comme des questions sur le monde environnant. A quoi sert ceci ? A quoi sert cela ? Pourquoi cette personne est comme ceci ou bien cela ? Et bien d’autres questions encore. Nos tâtonnements successifs nous amènent à essayer plusieurs voies mais toutes ont en commun une force centripète qui nous ramène vers le centre. S’autoriser à regarder sa vie à partir de la question « Quelle expérience de vie, l’esprit que je suis, cherche à vivre ? » peut aussi changer la perspective à partir de laquelle je regarde le monde alentours. Si je m’aperçois que l’autre est dans une démarche particulière qui suit
la même trajectoire que la mienne, je peux alors le regarder comme un chercheur, une personne en recherche de sa propre vérité. En cela réside la fraternité. C’est parce que nous sommes alors en capacité de comprendre qu’il s’agit du même chemin mais sur une trajectoire différente que nous pouvons nous sentir frères. De fait les différences ne nous éloignent plus. Elles sont vécues comme des enrichissements potentiels, des curiosités. Ces trajectoires sont des témoignages d’une culture, tout simplement. Ils ne remettent pas en cause ma perception, mes croyances sur le monde.
Nous sommes bien loin des cinq siècles d’histoire qui viennent d’être écrits au prix du sang et des génocides des peuples autochtones de toutes les régions du monde au bénéfice d’une expansion sans fin du peuple occidental en mal de limites.
Le manque d’espace a fait se déployer les occidentaux en manque de richesses. Le manque de respect pour le différent ( l’inquisition française a été fondée au XII ème siècle ) a dans un premier temps amené les hérétiques au bûcher, puis, dans un
second temps l’assurance aveugle d’avoir une mission civilisatrice à exercer sur le reste du monde. Aujourd’hui nous redécouvrons la puissance et le sens des croyances et des pratiques premières telles le chamanisme, le druidisme.
Certains les colorent d’un folklore inutile, voire préjudiciable à leur crédibilité. Mais rappelons nous que ce folklore peut aussi jouer le rôle d’un aimant permettant à certaines personnes de commencer leur voyage intérieur. En ce sens, ce
folklore ne saurait être stigmatisé car il joue un rôle attracteur. Et il faut bien un début à tout ! D’autres au contraire y voient la puissance d’une sagesse ancestrale qui replace l’être humain au centre de l’univers. En cela, ces pratiques, en reliant l’homme au tellurique et au cosmos, redonnent à l’humanité qui est en nous, la possibilité de se reconnecter à sa complétude. Le morcellement de l’être touche à sa fin et s’entrouvre une porte vers l’uni. Un cinéaste comme Jan Kounen témoigne dans un reportage ( D’autres mondes
https://www.youtube.com/watch?v=QvFhX2lb-n Q ),
largement autobiographique, des techniques initiatiques des chamanes du Pérou. Cette initiation s’effectue par l’ingestion d’une plante, l’Ayahuasca. Cette plante aux propriétés hallucinogènes est mélangée à d’autres plantes et herbes qui potentialisent les effets hallucinogènes d’une part et assurent la non dépendance d’autre part. Jan Kounen témoigne de son voyage intérieur et de sa puissance créatrice. Au regard de cette puissance, les techniques de psychanalyse, psychothérapie, coaching et autres trouvailles pour le développement de la personne, paraissent bien faibles quant à leur
pouvoir réparateur et unifiant. La quête du héros s’arrête lorsqu’il a atteint la plénitude. Le processus d’individuation de CG Jung est à l’image du héros. Le mythe de Héraclès nous relate bien toutes les étapes nécessaires au retour de son unité. La trajectoire de Hercule est de devenir un maître de sagesse. Sa double origine, mi-dieu mi-homme, est déjà une blessure inscrite dans sa chair. Héra, épouse de Zeus, pour se venger de l’infidélité de son époux avec Alcmène, retarde l’accouchement de cette dernière afin que Eurysthée naisse avant Héraclès, le privant ainsi de sa royauté. Rejeté des dieux, n’ayant pas sa place dans le monde des hommes, Héraclès est frappé d’une autre blessure indélébile. Mais parce qu’il a le souvenir de sa déité inscrit dans sa chair et dans son nom ( Héraclès veut dire à la Gloire de Héra ), il va devoir se forger une place parmi les hommes. Les neuf premières étapes constituent des marches successives vers son individuation. Les trois dernières sont consacrées à sa confirmation en tant que maître de sagesse. C’est du moins ce que nous propose A. Bailey dans son livre « Les travaux d’Hercule » ( Édition Lucis Trust ).
A ce titre le manque peut nous ramener vers notre unification ou plutôt notre ré-unification. C’est-à-dire à être unifié de nouveau. Car, pour continuer de développer la logique, si nous acceptons l’idée que le manque est une illusion nous permettant de retrouver de nouveau notre unité, il faut aussi admettre qu’au départ nous étions unifié et que c’est la séparation qui à créé le manque d’unité. En langage plus ésotérique, nous pourrions dire que l’esprit a besoin de se séparer d’une partie de lui-même pour en faire connaissance au travers d’une incarnation. Car il faut bien une confrontation à quelque chose de plus dur que soi pour faire l’épreuve de soi-même !C’est pourquoi la rencontre avec autrui est aussi une révélation de qui je suis. Sans l’autre, je ne peux pas me connaître, je ne peux pas aller à la rencontre de moi-même. Lorsque je propose de dire que le manque peut être considéré comme une illusion, je fais référence aux « mayas » hindous. Une illusion possède cette double qualité de nous permettre de rejoindre les opposés. Par exemple, le fait de considérer le monde, tel que nous le connaissons, comme une illusion, n’enlève en rien au fait que je navigue
dans ce monde qui contient des contraintes physiques. Le monde est simultanément une illusion, en ce sens qu’il me permet de me rencontrer au travers de l’autre, et pour autant que je sache, l’autre possède bien des caractéristiques physiques, pour ne nommer que celles-ci, qui me prouvent bien sont existence. De fait je peux dire que de ce point de vue là, l’autre « n’existe pas » et « existe » de façon concomitante. Pour transposer le propos vers des sciences plus actuelles, il en est de même pour la physique d’Einstein ( Cf les théories de la relativité générale et de la relativité restreinte ) et les théories de Niels Henrik David Bohr sur la mécanique quantique. D’un côté la théorie d’Einstein permet d’expliquer le grand, le très grand, le très très grand jusqu’à l’infiniment grand, et de l’autre côté, la mécanique quantique de Bohr
permet d’expliquer le petit, le très petit, le très très petit jusqu’à l’infiniment petit. La théorie d’Einstein traite des corps physiques alors que la mécanique quantique de Bohr nous dit que la matière n’existe pas. Or, force est de constater que les deux propositions sont vraies. Leur différence fondamentale est qu’elle n’agissent pas sur le même niveau. Il en va de même avec les « mayas » hindous. Les choses « sont » et « ne sont pas » simultanément, mais pas sur le même plan. Le fait de considérer le monde au travers de ce prisme, me permet de comprendre que le monde « est » et « n’est pas » de façon simultanée. Une proposition n’exclut pas forcément l’autre. En ce sens, nous autres occidentaux, avons un travail considérable pour arrêter de polariser le monde en deux parties distinctes. Nous aimons simplifier les choses, quitte à
les tordre, par fainéantise de réflexion. Ce qui nous sort de notre quotidien pour nous permettre de nous offrir de nouveaux horizons, nous est facilement pénible. Nous préférons rester dans le confort de nos petits bobos chéris, et c’est à grand peine que nous commençons le périple de nous retrouver nous-même, plus grands, plus forts, plus vigoureux, plus fragiles aussi et plus tendres envers autrui et nous-même. Retrouver le goût de l’aventure c’est aussi retrouver le goût de la finesse et de l’intelligence. L’intelligence des choses, des situations et des êtres. L’intelligence qui nous élève, celle qui nous permet de tisser des liens entre différents éléments de vie. Cette intelligence là, il faut bien l’avouer, n’a rien à voir avec le QI. Tant que je suis prisonnier de jeux d’illusions, il m’est impossible de rencontrer l’autre puisqu’il
me sert uniquement à me rencontrer moi-même. On voit bien à ce titre là, toutes les difficultés de communications existant à ce jour. Nous n’avons jamais été autant potentiellement connectés les uns aux autres, et jamais nous n’avons autant souffert de solitude. Le manque de l’autre est tapis dans beaucoup d’endroits secrets ou inconscients de notre vécu relationnel. L’Être-humain est avant tout un être de communication. Nous avons besoin de communiquer, de relationner.
C’est un besoin vital. Mais la découverte de notre individualité nous a poussé jusqu’à l’individualisme. Le manque de soi initial nous a poussé si loin que nous avons finis par croire que nous étions seuls. Nous sommes allées si loin dans la recherche de nous-même et ce de façon si soudaine ( après les années 50 ), que nous n’avons pas pris le temps d’élaborer des gardes fous. Nous avons rompus le lien d’avec nos amarres et pensons pouvoir naviguer à titre personnel sans se soucier de l’impact que nous avons sur l’autre. Or, l’humanité est confrontée de plus en plus, y compris dans les pays riches, aux catastrophes écologiques qu’elle a elle-même engendrée en si peu de temps ( Cf : Inculture(s)
8 : L’eau, ça chie.
Anthony Brault & Samuel Lanoe – Scop Le Pavé – Conférence gesticulée https://www.youtube.com/watch?v=hijW2y13RZg ).
Retrouver le goût de l’aventure, c’est aller la rencontre d’une dimension qui nous échappe encore trop souvent, est qui est le lien que nous entretenons tous les uns avec les autres. Nous sommes tous dépendants les uns des autres. Et pas
seulement d’être-humains à être-humains. Ceci est vrai aussi avec les règnes minéral, végétal et animal. ( Cf : Conférence PARTIE 1 Pierre Rabhi (intervenant) Lydia et Claude Bourguignon, La louvesc
https://www.youtube.com/watch?v=jS82fc-Wpdc ).
Nous vivons dans une biosphère dont nous sommes issus et ce lien est inaliénable. Cette vérité première est en train d’être redécouverte.
En psychologie classique, nous avons coutume de distinguer le tempérament et les traits de caractères. Le tempérament est perçu comme ce qui nous trempe. C’est à l’image d’un acier à partir duquel nous pouvons construire notre personnalité. Une vision plus poétique du tempérament nous permettrait de dire qu’il s’agit de notre terreau de base. Celui à partir duquel nous allons faire croître nos traits de caractères pour nous donner à voir au monde. Ainsi les traits de caractères sont modulables, flexibles et peuvent apparaître et disparaître au gré des besoins de la vie. Les blessures de base, quant à elles, participent de notre tempérament. Déjà en 400 av JC, Hippocrate définissait quatre tempéraments encore utilisés aujourd’hui, bien que complétés par d’autres études. Le tempérament nerveux, puis le bilieux, puis le sanguin, puis, pour terminer, le lymphatique. Quant aux traits de caractères on peut se retourner vers La Bruyère et son ouvrage « Les caractères ou les mœurs de ce siècle » avec la description de 1120 ( mille cent vingt ) traits
de caractères. La Bruyère a continué le travail d’analyse et de réflexion du philosophe grec Théophraste (-371 -288 av JC). Pour continuer de regarder la différence et la complémentarité entre le tempérament et les traits de caractères, je vous propose de continuer de regarder la trajectoire de Héraclès. Ce dernier a conservé un lien si fort avec ses blessures initiales qu’il va cheminer tout au long de son parcours initiatique depuis l’exercice de sa force brute jusqu’à son ascension au mont Olympe. Chemin faisant ses traits de caractères vont s’adoucir, se transformer jusqu’à devenir subtils.
A ce titre il est étonnant qu’il réponde favorablement aux demandes de Heurysthée qui lui demande les travaux. Il suffirait à Héraclès de prendre le pouvoir par la force, il en a les capacités. Au lieu de cela, il va obéir. Il va se mettre
dans un état de passivité. Heurysthée est obéi ( écouté ) par Héraclès, car ce dernier veut retrouver son trône par la voie loyale. Tapi dans sa peur, Heurysthée demande à Héraclès des travaux hors de portée lui semble-t-il ! Mais l’ordre de ses
travaux n’est pas vain. Chacun correspond à une étape toute particulière autour des signes du zodiaque. Le premier travail est de tuer le lion de Némée. Cet animal symbolise l’ego. Sa peau est impénétrable, même les flèches données à Héraclès par Apollon, ricochent sur sa peau. D’ailleurs c’est avec sa massue en bois d’olivier que Héraclès étourdit le lion avant de le tuer par strangulation. Ceci nous dit que les dieux ne peuvent rien contre notre ego et qu’il nous appartient de le tuer de nos propres mains. Pour retrouver sa position de roi et sa divinité, Héraclès doit commencer par
obéir à une demande hors de portée humaine, lui demandant d’aller au très fonds de lui-même chercher les forces héroïques pour tuer son ego, son lion intérieur. Toute quête personnelle démarre par la rencontre avec soi-même et se termine sur le thème de la mort. Le dernier travail de Héraclès est de ramener Cerbère vivant à Heurysthée. Cerbère est le chien à trois têtes gardant les enfers. Son rôle est d’accueillir les défunts dans l’enfer, qui n’a pas la même signification que l’enfer des chrétiens, et de les empêcher d’en sortir. Cerbère est le gardien ultime du passage de la vie à la mort. Une fois passée la porte gardée par Cerbère, plus moyen de revenir dans le monde des vivants. Or c’est précisément ce que Heurysthée demande à Héraclès. Cela veut dire qu’il demande à Héraclès de pouvoir passer librement du monde des
vivants au monde des morts et inversement. Heurysthée demande à Héraclès de vaincre la mort. Or, il n’y a pas plus haute initiation que de vaincre la mort. Vaincre la mort, c’est résoudre les blessures initiales, c’est retrouver l’état d’unification. C’en est fini du manque, c’en est est fini de la fidélité aux blessures. Depuis cette unité fondamentale qu’est l’être en soi, les questions égotiques paraissent bien petites, parfois mesquines. Elles sont nées du terreau de la personnalité qui a œuvré à ces retrouvailles et tel un doudou que nous quittons parce que nous sommes devenus grands, nous regardons les questions égocentrées comme inappropriées à décrire le vivant. Au même titre que notre doudou nous a permis de passer des étapes de notre évolution, l’ego nous apparaît aussi comme une étape. C’est pourquoi il me semble important de tisser un lien étroit avec nos manques, afin qu’ils puissent nous instruire sur toutes nos forces et de toutes nos forces.
Retrouver le goût de l’aventure dans un monde où tout est cartographié, un monde dans lequel le moindre petit déplacement peut-être agrémenté d’une voix nous indiquant pas-à-pas le chemin, un monde dans lequel la perspective d’avenir est de faire partie de ceux qui ont la « chance » d’avoir un travail en vue d’accumuler des biens matériels, un monde dont le fonctionnement tend à faire croître les inégalités de plus en plus rapidement… est une gageure. Nous vivons dans un monde tellement organisé qu’il tend vers l’uniformisation. Les grandes villes se ressemblent, la façon de faire des affaires ensemble est de plus en plus stéréotypée, les sigles sont transcontinentaux ( par exemple le sigle des ambulances)… Que découvrir et pourquoi ? Le film « Into the Wild » retrace l’itinéraire d’un jeune homme en rupture de ban avec la société. Il décide de s’en aller dans l’endroit le plus reculé qu’il puisse atteindre. Arrivé sur place, il va renouer avec son espace de liberté et commencer de recoller les morceaux de sa vie. Surtout celles qu’il avait du mettre de côté pendant de trop nombreuses années. Ce goût de l’aventure extrême va l’amener jusqu’à sa mort.
Les manques de ce jeune homme étaient si nombreux, leur béance si profonde qu’il a du aller jusqu’à l’extrême isolement pour commencer de se reconstruire, retrouver des sensations trop longtemps ignorées. La confrontation à la vie dans ce qu’elle a de plus basique constituait la première étape de son chemin. Pour se reconstruire, ce jeune homme a d’abord du trouver un toit sous lequel dormir ( une caravane abandonnée dans le cas ), puis il a du trouver de quoi se nourrir, puis de quoi se chauffer. Même si les conditions étaient misérables à nos yeux, ce jeune homme y trouvait la force de se reconstruire. Le contraste entre sa vie en ville, avec l’opulence matérielle qu’elle sous entend avec dans le jeu des miroirs la déliquescence intérieure, et sa vie dans cette partie reculée, avec un confort matériel plus que rudimentaire et dans le jeu des miroirs une vie intérieure qui s’enrichit, le contraste disé-je est saisissant. Ce film n’est
pas le seul à nous proposer ce contraste sous cette forme là ! Beaucoup de livres aussi nous parlent de ce lien croisé entre richesse extérieure et pauvreté intérieure. Quand on a tout pour être heureux et qu’on y arrive pas ! C’est qu’il y a bien quelque chose qui manque. Il est toujours possible de minimiser la question en pratiquant des sports de défoulement, en sombrant dans l’alcoolisme fût-il mondain d’ailleurs, ou en prenant des anxiolytiques. Toutes ces diversions et bien d’autres encore comme le sexe par exemple, peuvent être des palliatifs intéressants. Il n’en demeure pas moins vrai que la question de fonds reste en suspend. « Le bonheur, c’est vers où ? ». La réponse pourrait-être « Le bonheur, c’est par où commence l’aventure ! ». Partir à l’aventure, retrouver le goût de l’autre, renouer avec les saveurs de la relation, avoir le désir chevillé au corps et à l’âme, être passionné, curieux voire glouton, accepter de suivre le vent qui souffle. Retrouver le goût de l’aventure intérieure c’est oser aller sur nos océans intérieurs, embarqué sur un frêle esquif n’ayant de vivres que pour peu de jours. Lâcher ses sécurités s’est se donner l’occasion de constater que nos croyances sont limitantes et que la vie est bien plus vaste que ce que nous croyons. Nous nous croyons petits alors que nous sommes des géants d’inventivité et d’adaptation. Lâcher ses sécurités et se confronter à ses propres peurs pour s’apercevoir au final qu’elles étaient infondées, c’est-à-dire sans fondements, aucun. Rien ne vient étayer le fait que nous puissions avoir peur dans ce voyage intérieur. Et pourtant, bien nombreux sont ceux qui me disent en première séance « ça m’a pris longtemps avant de venir vous voir… ». Il y a de sous entendu comme un aveu d’impuissance. « J’ai pas pu m’en sortir tout seul, alors je viens vous voir, mais ça me coûte ». « Cela accroît mon sentiment de dévalorisation personnelle que de venir ». Lâcher ses sécurités et s’apercevoir qu’elles reposent sur des peurs qui reposent elles-mêmes sur de l’émotionnel pur jus, est une source de joie profonde. Mes sécurités sont juste des barrières émotionnelles m’empêchant d’envisager le monde sous d’autres aspects que ceux qui m’ont été inculqués par mes formateurs ( parents, enseignants… ). Aller vers soi, c’est justement tout le contraire que de prendre pour argent comptant ce qui nous a été transmis. Aller vers soi, c’est parfois revenir à ses origines ! A quoi bon alors ?!! L’important c’est le trajet, c’est l’expérience de vie. Voilà pourquoi le goût de l’aventure est un ingrédient important.
Le manque
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