J’ai trente-quatre ans et je n’ai pas d’âge.
On me l’a déjà dit, on rajoute aussi que ça devrait me faire plaisir :
alors bien sûr je mens, car c’est à eux que je fais plaisir, en leur évitant une réaction qu’ils qualifieraient de bizarre et même d’incongrue.
Comment voulez-vous faire pour ne pas passer pour quelqu’un de mauvaise foi, de faussement modeste, si l’on montre, à chaud, sa réaction, qu’ils jugeront débile ?
On me regarde avec un étonnement enjoué comme si je lisais dans leurs yeux : “remercie le ciel de faire plus jeune, t’as la baraka, profites-en”. Mais cet étonnement enfantin qui s’exprime sans calcul me décoche une sacrée flèche.
je n’ai pas d’âge, oui, à ce moment là, mais tout à l’heure…
Où que je sois, tout à l’heure, loin de leurs yeux, un âge certain me dégringolera dessus que je n’évaluerai même pas en années.
Ce genre de compliments me met mal à l’aise, parce qu’en porte-à faux. L’étranger, tout bien intentionné qu’il soit, m’a jugé sans en avoir conscience. Il suffit qu’il m’aperçoive demain pour chavirer d’étonnement: “Tiens, c’est marrant !… Finalement elle fait bien son âge ! Combien déjà ? Ah oui, trente quatre. Ça lui aura tout de même fait plaisir… Moi même…”
J’ai,
L’âge de mon âme
Ou l’âge du courant d’air au moment où je le traverse ;
L’âge des découragés quand je les croise au hasard des enfilades des rues de quartier.
Le plus souvent, je n’ai pas d’âge ;
je quitte mes draps comme j’imagine Dracula le ferait lui,
Pour se repaître de la vie des autres,
Moi pour retrouver avec un nouvel émoi
L’ennui familier et le seul rassurant que je connaisse
De mes draps mortifères.