A Contre-Pied Éditions Poésies Chanson de Myriana

Chanson de Myriana

 

La pluie m’entoure et j’ai passé l’après-midi
A regarder de vieux films couchée
Dans le canapé du salon
La nuit m’entoure et je me souvenais
D’une autre vie quand, venue de Delhi
Je vivais chez mon frère en Oklahoma

J’étais jeune alors et je ne sortais pas
Ma taille était légère et je m’appelais Myriana

J’appuyais mon front aux carreaux du salon
Et voulais que le vent s’enroule autour de moi
Et m’emporte au-dessus des toits

J’étais seule alors et je n’existais pas
Je tressais mes cheveux et ourlais mes paupières
D’un trait de khôl
Mes cheveux étaient lourds et je m’appelais Myriana

Je me souviens de l’été
Les champs étaient rouges
Et ruisselaient de fleurs
Par la fenêtre je sentais leur âme légère parvenir jusqu’à moi

Pour mon frère et pour sa femme
Pour leurs enfants
Je faisais cuire, un à un, les chappattis sur le réchaud
Je tournais le matin les pommes de terre dans la crème masala
Je tournais l’après midi l’agneau dans la sauce byriani
Mes mains étaient noircies et je m’appelais Myriana

Je me souviens de l’hiver
L’hiver du Nord comme une bête blanche
Je le sentais passer contre les murs et pénétrer mes veines

J’étais Indienne alors et vivais aux Etats-Unis
A Oklahoma City
Parfois le soir et sans comprendre
je regardais la télévision
Dans mon cœur revenaient de vieilles chansons indies
J’étais Indienne alors et je m’appelais Myriana

Mon frère n’a jamais réuni la dot pour me marier
Je râpe la cardamone au-dessus du lait
Deux cuillères de sucre
Deux cuillères de thé
Les champs sont rouges et ruissellent de fleurs
Par la fenêtre entrebâillée, leur âme légère pénètre jusqu’à moi

Attente traversière travées
Miroir d’eau
Fleurs
Il n’y a plus rien
Silence de la pluie
Femme étendue sur le dos
Nuit

Je préfère le roulement silencieux
De la chanson de Myriana
Au ronronnement de la radio
Je sais que tout a été dit
Et pourtant, pourtant

Je suis Myriana libre
J’ai trouvé dans la nuit une nouvelle naissance
La pluie a traversé le plafond
Et je me suis relevée

Je suis Myriana large
Traversée de courants
La pluie m’a fécondée
Et j’ai donné naissance

Je suis Myriana sœur
Marchant le long des champs
L’amour m’a délivrée
Et je porte le monde

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