Je m’étais réveillée sous la poussée d’un rêve étrange. J’étais assise sur le sable, je passais l’eau entre mes doigts. Le sol s’ouvrait sous mes cuisses et de part et d’autre s’élevaient deux montagnes.
Elles se penchaient sur moi et j’apercevais leurs yeux qui me fixaient ardemment. Je voulais partir mais elles me pressaient toujours davantage de leurs flancs de géante, cherchant à me rejoindre, à se fondre dans mon ventre. Je levais les yeux une dernière fois. Leurs corps emplissaient le ciel. C’étaient deux continents versant le monde en moi. J’ouvrais les bras pour me laisser séduire.
Je suis sortie du lit, dans le cristal de l’aube. J’ai enfilé un maillot de bain sous ma robe et j’ai ouvert la porte. Le jardin embaumait. Je voulais marcher vers la mer, oublier mon rêve. J’ai appelé mes deux voisines. Elles étaient réveillées, je les ai rejointes.
Elles m’ont prises par la main et nous avons descendu la colline en courant. Aussi loin que je regardais le ciel courait sur la terre et l’embrassait. Au creux des arbres scintillait un triangle de mer.
Nous nous sommes arrêtées sur la plage. L’eau venait baigner nos pieds. Nous avons laissé tomber nos robes. Les fleurs autour de nous formaient un berceau. Je les cueillais du bout des doigts les jambes dans l’eau claire. Elles s’ouvraient entre mes mains. Mes amies posèrent leurs têtes contre le sable tiède et fermèrent lentement leurs yeux.
J’aperçus d’autres fleurs, dans les creux des rochers. Je me levai et m’approchai. Elles formaient sur les pierres un ruban palpitant. J’appuyai mon corps sur la pierre et tournai les yeux vers la mer.
Un taureau blanc s’avançait dans les flots. La lumière ruisselait sur lui, l’écume éclaboussait son dos. Il balançait sa belle tête, ses cornes formant un croissant de lune. Il venait vers moi.
Ses muscles puissants fendaient l’eau calme. Son front était orné d’un disque d’argent. Les fleurs ondulaient sous mes doigts, et mon sang dans mon corps, comme un fleuve. Il s’arrêta devant moi.
Ses naseaux expiraient l’air dans un sifflement, ses poils ruisselaient sur mes pieds. Dans mon dos se dressait la paroi du rocher. Le taureau leva vers moi ses yeux. Je vis la mer, je vis le ciel, le soleil et la file de mes jours. Dans sa gueule il tenait, intact et éclatant, un crocus blanc.
Je passai mes bras autour de son cou. Ma poitrine s’emplit de la chaleur de son pelage et je grimpai sur son dos. Le vent frappait contre nos corps. Je me dressai face au soleil qui s’était levé sur la mer. Le taureau se tourna vers le large et j’entrai avec lui dans l’eau.